L'absorption samadhi
Le terme sanskrit samadhi se retrouve dans plusieurs traditions philosophiques et religieuses indiennes, dans le bouddhisme et dans le yoga.
Selon les contextes il prend beaucoup de significations : union, totalité, accomplissement, achèvement, mise en ordre, concentration parfaite, contemplation, absorption, recueillement, illumination, état de perfection cognitive, élargissement de la conscience, extase, transe, établissement dans l'éveil (3). Mircea Eliade utilise le néologisme « enstase » pour désigner le samadhi qu’il interprète comme une expérience mystique naturelle différente de l'extase expérience mystique surnaturelle (19). Selon Jean Varenne (1) samadhi signifie au sens littéral du terme « mise en place d’une intériorisation parfaite » (2). Le mot français le plus couramment utilisé pour traduire le mot sanskrit samadhi est celui d’absorption mais on emploie aussi ceux de transe, de contemplation, d’illumination, d’extase, « d’enstase » (20).
Le samadhi est un yoga anga. Ce terme de yoga anga, le plus souvent traduit par « membre du yoga », désigne, un élément, une famille de techniques du yoga considéré en tant que discipline. Dans les contextes où le mot yoga désigne l’objectif de la discipline, l’anga correspond à un moyen pour atteindre cet objectif : c’est pour cette raison que certains auteurs préfèrent le terme d’« auxiliaire du yoga » à celui de « membre du yoga ». (3) Le mot samadhi est aussi utilisé pour désigner l’enterrement d’un yogi mort ou vivant et par extension la tombe d’un sage ou d’un saint.
Dans le yoga en tant que discipline, l' absorption samadhi désigne les états de conscience au-delà de l’état de veille dans lesquels l’esprit du yogi
s’absorbe sur un objet ou sur la « conscience absolue ». Le samadhi est aussi utilisé pour décrire les méthodes ou les circonstances par lesquelles le yogi accède à ces
états.
Selon les traditions et leurs substrats philosophiques, le samadhi conduit soit à l’union de l’individu avec le monde dans les philosophies monistes, soit au détachement de la conscience (l'âme) du réel (corps et mental) dans la tradition dualiste.
Dans la tradition du Patanjolayogasastra le samadhi consiste à extraire fondamentalement et durablement purusha l’âme individuelle de pakriti la « matière » (corps et mental conscient et inconscient). Dans le yoga de Patanjali le samadhi a de plus la particularité de s'identifier au but du yoga kaivalya l’isolement libérateur de l’âme
Le Patanjolyogaasastra contient une analyse détaillée de l’absorption (samadhi). Il distingue trois stades d’absorption (samadhi) celle qui est réfléchie (avec support et cognition), celle qui est non réfléchie (sans support sans cognition) et enfin celle qui est « sans germe ». Il définit aussi des degrés et des caractéristiques de ces types de samadhi.
Le premier type de samadhi le samprajnata samadhi désigne l’absorption réfléchie ou absorption avec cognition. Cet état prolonge la méditation sur un support. Il intervient lorsque le méditant s'absorbe complètement dans la contemplation de l’objet de méditation en restant conscient capable de discernement et de réflexion.
Dans cette absorption réfléchie l’esprit ne s’agite plus. Il est stable en harmonie avec l’objet. C'est par une pratique du yoga et notamment du triptyque retrait des sens pratyhara, fixation dharana et méditation dhyana que le yogi peut atteindre l’absorption réfléchie.
L’absorption réflechie peut s’accompagner ou pas de quatre états : vitarka l’attention, vicara la réflexion, ananda la béatitude et asmita le pur sentiment d’exister.
Dès que le méditant contemple l’objet de méditation avec une attention exclusive et durable, c’est l’absorption avec attention (savitarka samadhi). Le méditant porte alors son attention sur des aspects évidents « grossiers » de l’objet de méditation comme la forme, la couleur, le son, la dimension, la beauté, le sens premier, etc.
Au deuxième niveau le méditant s’absorbe dans la réflexion (vicara) sur des aspects plus « subtils » de l’objet de méditation comme le temps, l'espace, la causalité, le sens profond. Il met en œuvre ses capacités de discrimination et ses connaissances. C’est le l’absorption en réflexion (savicara samadhi).
Au troisième niveau il n’y a plus ni attention ni réflexion, il s’agit d’absorption en béatitude (ananda samadhi), un état de bien-être, de paix intérieure, de joie, de félicité. L’absorption en béatitude est une sorte d’extase, une sensation physique et psychique unique de bien-être, une sorte de jouissance durable et sans pulsion. Cette jouissance comparable à un orgasme sexuel s'en différencie par la durée et par la conscience. Le bien-être physique s’accompagne de la béatitude de la conscience.
Le quatrième niveau l’absorption en conscience (prasamkhyana samadhi) s’accompagne du pur sentiment d’exister asmita (à rapprocher du mantra soham « j’existe, je suis ») : dans cet état d’absorption les perceptions de l’espace, du temps et de la causalité se résorbent. C’est le summum de l’absorption réfléchie où l'on arrive à discriminer le soi et le non-soi.
L’absorption non réfléchie aussi appelée « absorption sans cognition » (asamprajnata samadhi) est un état d’illumination d’absence psychique qui se produit de façon spontanée et se caractérise par un arrêt complet de la pensée. On le nomme aussi absorption « sans pensée » nirvikalpa-samadhi. Cet état d’illumination est passager. Le sentiment d’exister propre au moi demeure dans le mental de façon subtile malgré l’arrêt complet de la pensée. Le mental est résorbé mais il conserve la mémoire, les empreintes du passé, les imprégnations karmiques. Ces empreintes peuvent déstabiliser la conscience du méditant en état d’absorption non réfléchie à tout instant. (5) De fait les yogis qui font l’expérience d’états contemplatifs sans pensée retombent au niveau de conscience ordinaire après des absences psychiques plus ou moins longues. (8)
Les Yoga Sutra mentionnent aussi l’absorption « sans germes » (nirbija samadhi) : c’est un état de pure conscience degré ultime de l’absorption non réfléchie. L’absorption « sans germes » constitue le stade le plus abouti du détachement. L’âme du méditant se débarrasse de façon complète et durable de l’activité du mental (30). Lorsque le mental est totalement apaisé il n’y a plus trace dans les mémoires conscientes et inconscientes des « germes » semées dans le passé, pas même des empreintes de l’intuition suprême née de l’absorption avec germe. (ref sutra I47 48 49 50)
Le mental restant totalement au repos il n’y a plus création de nouveaux « germes » sous forme d’imprégnations karmiques susceptibles de perturber le mental dans le futur et de provoquer une nouvelle réincarnation. Dans le samadhi sans germes le méditant demeure durablement dans la contemplation de la vacuité, de la cessation d’activité. C’est ni plus ni moins que l’objectif du yoga, l’état de pure conscience, l’état d’isolement (kaivalya) libérateur de l’âme.
Ce concept d’absorption sans germes implique un arrêt total et durable de l’activité du mental, tel que logiquement le yogi devrait mourir pour atteindre cet état. Les Yoga Sutra précisent que le sage atteint l’isolement libérateur absolu et durable tout en restant vivant. Cette proposition de libération éternelle de l’âme avant la mort est tout à fait paradoxale. (1)
Dans les traditions tantriques le samadhi est défini comme l’absorption du soi dans la réalité universelle. L’absorption n’y conduit pas au détachement du réel mais au contraire elle mène dans une conception non dualiste à une union de l’individu avec le monde. L’absorption s’y révèle comme un état de transcendance de soi qui modifie la vision classique du sujet, le met en phase avec la réalité la vérité le tout et conduit à l’union de l’être et du cosmos.
Selon le Mālinīvijayottara Tantra le samadhi est défini comme « une absorption profonde qui découle d’une méditation prolongée (le texte indique 48 minutes) et "fermement établie", dans laquelle le yogi devient comme inexistant. Il atteint un état où il devient comme mort, d’où même des sons intenses et d’autres perceptions sensorielles ne peuvent pas le réveiller. » [23]
Dans la tradition shivaïte du Cachemir Trika Kaula il y a deux samadhi : nimilana samadhi l’absorption « avec les yeux fermés » où le yogi recherche la plénitude à l’intérieur de soi et unmilana samadhi l’absorption « avec les yeux ouverts » où il reconnait le monde extérieur comme source de la plénitude.
Ces deux samadhi sont liés et pour le yogi l’identité des deux expériences témoigne de l’unification de l’intérieur et de l’extérieur.
Dans le Vedanta le samadhi se définit comme l’union du soi individuel et du soi suprême. Le Vedanta classe les différents degrés de samadhi selon les trois catégories d’energie (gunas) de la nature, issues du Samkhya : sattva, rajas et tamas.
Rajas (rouge) est le principe de mouvement, d'activation de l'énergie qui meut la nature mais jette aussi l'homme dans la passion et la douleur. Dans rajasika samadhi le yogi s’identifie à l’objet et accède à sa connaissance intime.
Tamas (noir) désigne les ténèbres, tout ce qui concrétise, incarne, limite, aveugle et alourdit les êtres liés par la matière (prakṛiti) qui est insensible et inconsciente, mais éternellement active dans son état manifesté. Le tamasika samadhi désigne la contemplation du vide.
Sattva (blanc) est l'essence de la pureté et de la vérité, il représente la luminosité, l’élément de légèreté, de transparence. sattvika samadhi désigne l’état de félicité avec arrêt de la pensée, stade ultime du samadhi où le yogi atteint la libération kaivalya. Des yogis peuvent faire l’expérience de ce stade ultime de samadhi de leur vivant. Ce concept de délivré vivant permettait aux yogis qui pensaient avoir atteint ce samadhi de ne souffrir d’aucune des servitudes que connait l’homme ordinaire, ni du froid, ni du chaud, ni du regret, de pouvoir utiliser leurs pouvoirs yogiques siddhi dont celui de vivre éternellement, de se placer par-delà le bien et le mal pour vivre leur paradis sur terre, leurs actes étant sans cause et sans effets. Ce concept de délivrés vivants deviendra sujet de discussion dans l’hindouisme du XVIIe siècle.
Le samadhi du hatha yoga se dégage de toute considération métaphysique : il ouvre la possibilité au yogi de trouver le bonheur en soi dans le corps physique dans l’existence présente.
Dans le Hatha yoga médiéval le samadhi se présente comme un état de transe que le yogi construit par la méditation. Dans cet état de transe il ne perçoit rien ni en provenance de l’extérieures ni de lui-même, comme un mort. Ceci rejoint la description du Mahabharata dans laquelle le méditant devient aussi immobile que la pierre (2). Le corps parait aussi inerte qu’un morceau de bois, le yogi est comme endormi.
Cet état de transe donnerait au yogi des pouvoirs sidhi dont le pouvoir sur la mort offrant par exemple la possibilité de survivre après avoir été enterré vivant puis réanimé.
Dans la hatha yoga pradipika le terme samadhi prend aussi d‘autres sens. Il y est utilisé pour désigner l’éveil de l’énergie kundalini et sa montée dans le conduit central susumna depuis le centre d’énergie chakra racine vers les centres (chakras) supérieurs.
Il y désigne également l’arrêt de l’activité du mental.
Il y est synonyme de Laya yoga qui désigne le yoga de la dissolution (17) (18). Laya est un terme sanscrit signifiant « dissoudre ». Il ramène l'esprit de l'état de manifestation et de dissolution à «l’ état originel » (moola prakriti) Le Laya yoga conduit au samadhi qu’il definit comme la plus haute unification avec le Divin.
Il y est aussi synonyme de raja yoga (19) qui définit l’état de bonheur le plus élevé « la béatitude en son propre soi ».
Le mot samadhi désigne un état d’extase par auto-transcendance. Mircea Eliade utilise le néologisme « enstase » pour désigner le samadhi qu’il interprète comme une expérience mystique naturelle différente de l'extase expérience mystique surnaturelle (19).
Georg Feuerstein traduit le mot samadhi par "extase de la transcendance de soi", cette extase s'atteignant en s'élevant au-dessus de soi, en allant au-delà de sa propre identité (18).
B.K.S Iyengar (5) parle de l’« état où le sujet est uni avec l’objet de sa méditation, l’Esprit Suprême qui imprègne l’univers. Il éprouve alors un sentiment indicible de joie et de paix ».
T.K.V. Desikachar (6) adopte l’interprétation du samadhi en tant que moyen et but du yoga quand il dit que le samadhi consiste à "faire converger les mouvements de l’esprit"
Dans le bouddhisme, on retrouve deux significations de l’absorption (samadhi) : la première désigne la concentration, la seconde l’établissement dans l'éveil, objectif ultime du Noble Chemin Octuple de Boudha.
On retrouve l’extase apparentée à des formes d’absorption réfléchie ou l’illumination semblable à l’absorption non réfléchie chez les soufis, les kabbalistes, les chrétiens, les moines zen, des anachorètes et des derviches.
Références Notes
(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Varenne: Jean Varenne, né le 12 juin 1926 à Marseille et mort le 12 juillet 1997 est un indologue français. Il est spécialiste de l'hindouisme, du sanskrit, des cosmogonies védiques (Upaniṣad védiques) et de nombreux sujets touchant la tradition de l'Inde et les religions de l'Iran ancien.
(2) Aux sources du Yoga. Jean Varenne. Dauphin Editions janvier 2018
(3) James Mallinson Mark Singleton. Les racines du yoga, traduit de l’anglais par Jean Michel Creismeas. Almora 2020. Titre original ROOTS OF YOGA 2017
(5) Yoga-Sutras. Patanjali. Traduction du sanskrit et commentaires par Fançoise Mazet. Albin Michel 1991
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/T.K.V._Desikachar. T.K.V. Desikachar 1938-2016 est le fils et l'étudiant privilégié de Krishnamacharya, considéré comme le père du Yoga moderne, dont il a poursuivi l'enseignement. Il a fondé le centre Yoga Mandiram Krishnamacharya à Chennai. Il a activement participé à la réapparition et la diffusion du Hatha yoga pendant les récentes décennies.
(7) Swami Vivekananda, né le 12 janvier 1863 à Calcutta et mort le 4 juillet 1902 à Belur Math au Bengale-Occidental, est un philosophe et maître spirituel qui a fait connaître l'hindouisme au monde occidental et a inspiré le mouvement pour l'indépendance de l'Inde.
(8) https://www.spiritualbee.com/posts/swami-vivekananda-nirvikalpa-samadhi/
En 1898 Swami Vivekananda (7) décrit son experience personnelle d’une telle illumination: « One day in the Cossipore garden, I had expressed my prayer to Shri Ramakrishna with great earnestness. Then in the evening, at the hour of meditation, I lost the consciousness of the body, and felt that it was absolutely non – existent. I felt that the sun, moon, space, time, ether, and all had been reduced to a homogeneous mass and then melted far away into the unknown; the body-consciousness had almost vanished, and I had nearly merged in the Supreme. But I had just a trace of the feeling of ego, so I could again return to the world of relativity from the Samadhi.In this state of Samadhi all the difference between “I” and the “Brahman” (God, the Absolute Divine Consciousness) goes away, everything is reduced into unity, like the waters of the Infinite Ocean — water everywhere, nothing else exists — language and thought, all fail there. Then only is the state “beyond mind and speech” realized in its actuality. Otherwise, so long as the religious aspirant thinks or says, “I am the Brahman”– “I” and “the Brahman”, these two entities persist — there is the involved semblance of duality. »
(9) « Upanishads du yoga », traduction de Jean Varenne, éd. Gallimard/Unesco, 1971
(10) N. Shtoupak, L. Nitti et L. Renou, Dictionnaire Sanskrit-français, Maisonneuve, 1980, p.794.
(11) The A to Z of Hinduism par B.M. Sullivan publié par Vision Books, pages 190 et 191, (ISBN 8170945216)
(13) Jean Herbert et Jean Varenne, "Vocabulaire de l'hindouisme", Dervy, 1985, p. 88
(14) https://ohmybuddha.fr/yoga/quest-ce-que-nirbija-samadhi/
(15) Martyn Neal https://www.ify.fr/le-yoga-au-quotidien/ananda-la-joie-profonde/
(16) https://www.yogapedia.com/definition/6161/nirbija-samadhi
(17) Laya yoga dissolution du mouvement de l’esprit, l’immobilisation du souffle.
(18) On trouve dans la hata yoga pradipika la technique importante de l’écoute des sons intérieurs qui conduit à un état de dissolution (encyclopédie du yoga p 310)
(19) Georg Feuerstein. Deeper dimension of Yoga 2003
(20) Mircea Eliade cité dans Psychotherapie Vigilance : http://www.psyvig.com/lexique.php?menu=4&car_dico=E&id_dico=175
(21) Les racines du Yoga page 402
(22) https://www.sahapedia.org/patanjalayogasastra-alias-yogasutra-and-yogabhasya
(23) Vasudeva, Somadeva, The Yoga of the Vasudeva, Somadeva, The Yoga of the Mālinīvijayottara Tantra, Critical edition, translation & notes, pp. 433-434.
Samadhi
Selon Jean Varenne (1) considéré comme l'un des meilleurs sanskritistes français le terme sanskrit samadhi signifie au sens littéral du terme « mise en place d’une intériorisation parfaite » (1). Il se retrouve dans plusieurs traditions spirituelles et religieuses et dans celles du yoga. Il a beaucoup de significations : union, totalité, accomplissement, achèvement, mise en ordre, concentration parfaite, contemplation, absorption, recueillement, illumination, état de perfection cognitive, élargissement de la conscience, extase, transe, établissement dans l'éveil (2). Le mot samadhi a aussi été utilisé pour désigner l’enterrement d’un yogi mort ou vivant et par extension la tombe d’un yogi.
Dans les diverses traditions du yoga le samadhi désigne les états de conscience au-delà de l’état de veille dans lesquels l’esprit se focalise sur un objet de méditation ou sur la « conscience absolue ». Le terme samadhi est aussi utilisé pour décrire les méthodes ou les circonstances par lesquelles le yogi accède à ces états. Selon les traditions le samadhi conduit soit à une union de l’individu avec le monde soit à un détachement du réel.
Le samadhi est un yoga anga. Ce terme sanskrit yoga anga le plus souvent traduit par « membre du yoga » désigne un membre, une branche, une composante, un élément, une famille de techniques du yoga considéré en tant que discipline. Dans les contextes où le mot yoga désigne l’objectif de la discipline, l’anga correspond à un moyen pour atteindre cet objectif : c’est pour cette raison que certains auteurs préfèrent le terme d’« auxiliaire du yoga » à celui de « membre du yoga ». (2)
Philosophiquement les Yoga Sutra de Patanjali prennent la suite du Samkhya en adoptant une position dualiste où le samadhi conduit à extraire fondamentalement et durablement purusha la conscience de pakriti la réalité. (5)
Dans cette tradition et dans celles qui s’y referrent le samadhi a la particularité de s'identifier au but du yoga cet état de perfection cognitive le plus élevé, un état déconditionné, un état de pure conscience où l’on atteint la libération kaivalya. T.K.V. Desikachar (6) adopte cette interprétation du samadhi en tant que moyen et but du yoga quand il dit que le samadhi consiste à "faire converger les mouvements de l’esprit"
Les Yoga Sutra contiennent une analyse détaillée du samadhi. Elles distinguent d’abord deux types de samadhi celui avec cognition et support et celui sans cognition et sans support. Elles définissent aussi des degrés et des caractéristiques de ces deux types de samadhi.
Le premier type de samadhi le samprajnata samadhi désigne l’absorption avec cognition. C’est un état qui prolonge la méditation. Il intervient lorsque le méditant s'absorbe complètement dans la contemplation de l’objet de méditation en restant conscient capable de discernement et de réflexion.
Dans ce samadhi avec cognition l’esprit ne s’agite plus. Il est stable en harmonie avec l’objet. C'est par une pratique des huit membres de l’ashtanga yoga de Patanjali et notamment du triptyque retrait (des sens) pratyhara, concentration dharana et méditation dhyana que le pratiquant de yoga peut atteindre le samadhi avec cognition.
Le samadhi avec cognition peut s’accompagner ou pas de quatre états : vitarka l’attention, vicara la réflexion, ananda la béatitude et asmita le pur sentiment d’exister.
Dès que le méditant contemple l’objet de méditation avec une attention exclusive et durable, c’est le savitarka samadhi la contemplation avec attention. Le méditant porte son attention sur des aspects évidents « grossiers » de l’objet de méditation comme la forme, la couleur, le son, la dimension, la beauté, le sens premier, etc.
Au deuxième niveau l’attention vitarka disparait et le méditant s’absorbe dans la réflexion vicara sur des aspects plus « subtils » de l’objet de méditation comme le temps, l'espace, la causalité, le sens profond. Il met en œuvre ses capacités de discrimination et ses connaissances. C’est le savicara samadhi la contemplation en réflexion.
Au troisième niveau il n’y a plus ni attention ni réflexion, il s’agit d’ananda samadhi la contemplation en béatitude, un état de paix intérieure, de joie, de félicité. Ananda samadhi est à rapprocher de l’extase décrite par des contemporains comme une sensation physique et psychique unique, une sensation de bien-être vécu physiquement qui plonge le corps et la conscience dans une jouissance durable et sans pulsion. La jouissance de l'extase se rapproche de l'orgasme sexuel mais elle s'en différencie par la durée et par la conscience. Le bien-être physique est perçu comme sublime et absolu et l’esprit demeure dans la béatitude.
Le quatrième niveau du samadhi avec cognition ne s’accompagne pas de cette béatitude mais seulement du pur sentiment d’exister asmita : dans cet état de contemplation les perceptions de l’espace, du temps et de la causalité se résorbent. C’est le prasamkhyana samadhi summum du samadhi avec cognition où l'on arrive à discriminer le soi et le non-soi.
Les Yoga Sutra introduisent un second type de samadhi nommé asamprajnata samadhi ce qui signifie samadhi sans cognition. C'est un état d’extase, d’absence psychique, de pure conscience qui se produit de façon spontanée sans support et se caractérise par un arrêt complet de la pensée.
A un premier niveau il s’agit de nirvikalpa-samadhi littéralement de contemplation sans concept sans pensée. C’est un état qui intervient de façon spontanée comme une illumination. Mais il est passager car la mémoire, l’inconscient (pour les Indous les imprégnations karmiques) du méditant peuvent déstabiliser la conscience à tout instant. (5) De fait les yogis qui font l’expérience d’états contemplatifs sans pensée retombent au niveau de conscience ordinaire après des absences psychiques plus ou moins longues. En 1898 Swami Vivekananda (7) décrit comme suit son expérience personnelle du nirvikalpa samadhi (8) :
« One day in the Cossipore garden, I had expressed my prayer to Shri Ramakrishna with great earnestness. Then in the evening, at the hour of meditation, I lost the consciousness of the body, and felt that it was absolutely non – existent.
I felt that the sun, moon, space, time, ether, and all had been reduced to a homogeneous mass and then melted far away into the unknown; the body-consciousness had almost vanished, and I had nearly merged in the Supreme. But I had just a trace of the feeling of ego, so I could again return to the world of relativity from the Samadhi.
In this state of Samadhi all the difference between “I” and the “Brahman” (God, the Absolute Divine Consciousness) goes away, everything is reduced into unity, like the waters of the Infinite Ocean — water everywhere, nothing else exists — language and thought, all fail there. Then only is the state “beyond mind and speech” realized in its actuality. Otherwise, so long as the religious aspirant thinks or says, “I am the Brahman”– “I” and “the Brahman”, these two entities persist — there is the involved semblance of duality. »
Les yoga sutra mentionnent aussi un degré ultime du samadhi sans cognition, un état de pure conscience : c’est le nirbija samadhi (littéralement samadhi sans graines). Ce samadhi sans graines, débarrasserait l’esprit des imprégnations karmiques, des mémoires conscientes et inconscientes et n’en produirait pas de nouvelles. Il constituerait le stade le plus abouti du détachement où le mental complètement libéré de tout ce qui l’encombre demeurerait durablement dans la contemplation de la vacuité, de la cessation d’activité. Ce serait ni plus ni moins que l’état totalement déconditionné, l’état de pure conscience, l’état de perfection cognitive permettant la libération kaivalya. Le nirbija samadhi serait la réalisation effective de l’objectif du yoga.
Avec ce concept de nirbija samadhi le Patanjala yoga implique un effacement radical de l’existence individuelle avec un arrêt complet des activités de l’esprit, un retrait durable du plan de l’existence, une extraction du principe du réel pakriti. Logiquement le yogi devrait mourir pour atteindre cet état ultime de samadhi. C’est d’ailleurs ce qu’annonçait déjà le Mahabarata selon lequel la libération ne se réalise qu’au moment de la mort. Qualifiée de « destruction de soi » cette idée sera rejetée par le commentaire paramoksanirasakarikavritti (2).
Le premier commentaire des Yoga Sutra le patajalayogasastra de Basya précise que le sage est libéré en restant vivant. Cette proposition est tout à fait paradoxale. Dans le contexte dualiste purusha/pakriti il faut faire appel à une sorte d’alchimie miraculeuse qui suppose une disparition de la dualité avec une transformation radicale de la personne où le corps sortirait complètement du réel du matérialisé et se muerait en un « corps de gloire » immatériel, quand son âme atman réaliserait l’unité avec l’âme cosmique brahman. (1)
Dans les traditions tantriques le samadhi est défini comme l’absorption du soi dans la réalité universelle. Le samadhi n’y conduit pas au détachement du réel mais au contraire il mène dans une conception non dualiste à une union de l’individu avec le monde. Le samadhi s’y révèle comme un état de transcendance de soi qui modifie la vision classique du sujet, le met en phase avec la réalité la vérité le tout et conduit à l’union de l’être et du cosmos.
Dans la tradition shivaïte du Cachemir Trika Kaula il y a deux samadhi :
· nimilana samadhi l’absorption « avec les yeux fermés » où le yogi recherche la plénitude à l’intérieur de soi
· unmilana samadhi l’absorption « avec les yeux ouverts » où il reconnait le monde extérieur comme source de la plénitude.
Ces deux samadhi sont liés et pour le yogi l’identité des deux expériences témoigne de l’unification de l’intérieur et de l’extérieur.
Dans le Vedanta le samadhi se définit comme l’union du soi individuel et du soi suprême. Le Vedanta classe les différents degrés de samadhi selon les trois catégories (gunas) de la nature, issues du Samkhya : sattva, rajas et tamas. Sattva (blanc) est l'essence de la pureté et de la vérité, il représente la luminosité, l’élément de légèreté, de transparence. Rajas (rouge) est le principe de mouvement, d'activation de l'énergie qui meut la nature mais jette aussi l'homme dans la passion et la douleur. Tamas (noir) désigne les ténèbres, tout ce qui concrétise, incarne, limite, aveugle et alourdit les êtres liés par la matière (prakṛiti) qui est insensible et inconsciente, mais éternellement active dans son état manifesté.
Les trois catégories de samadhi du Vedenta sont :
· tamasika samadhi la contemplation du vide,
· rajasika samadhi l’identification à l’objet et sa connaissance intime
· sattvika samadhi l’état de félicité, l’arrêt de la pensée où l’on atteint la libération kaivalya.
Avec le Védenta on parle de délivrés vivants : il s’agit de yogis qui font l’expérience du stade ultime de samadhi de leur vivant. Ce concept de délivré vivant permettait aux yogis qui pensaient avoir atteint le samadhi de prétendre ne souffrir d’aucune des servitudes que connait l’homme ordinaire, ni du froid, ni du chaud, ni du regret, pouvoir utiliser leurs pouvoirs yogiques siddhi dont celui de vivre éternellement, se placer par-delà le bien et le mal pour vivre leur paradis sur terre, leurs actes étant sans cause et sans effets.
deviendra sujet de discussion dans l’hindouisme du XVIIe siècle. vivre éternellement, de se placer par-delà le bien et le mal pour vivre leur paradis sur terre, leurs actes étant sans cause et sans effets…
Dans le Hatha yoga médiéval le samadhi se présente comme un état de transe que le yogi construit par la méditation. Dans cet état de transe il ne perçoit rien ni en provenance de l’extérieures ni de lui-même, comme un mort. Ceci rejoint la description du Mahabharata dans laquelle le méditant devient aussi immobile que la pierre. (2) Le corps parait aussi inerte qu’un morceau de bois, le yogi est comme endormi.
Cet état de transe donnerait au yogi des pouvoirs dont celui de survivre après avoir été enterré vivant puis réanimé. Des cas de yogis enterrés vivants ont été rapportés, d’autres sont rendus publics encore de nos jours mais restent peu crédibles car sans vérification des conditions réelles du maintien enterré.
La hata yoga pradipika donne plusieurs significations du samadhi :
· éveil de
l‘énergie racine la kundalini, montée du souffle dans susumna depuis le centre d’energie chakra racine vers les centres
(chakras) supérieurs
· arrêt de
l’activité du mental,
· pouvoirs et
victoire sur la mort,
· laya
yoga qui désigne la dissolution du mouvement de l’esprit, l’immobilisation du souffle. On trouve dans la
hata yoga pradipika la technique importante de l’écoute des sons intérieurs qui conduit à un état de dissolution (encyclopédie du yoga p 310).
· raja
yoga qui définit l’état de bonheur le plus élevé « la béatitude en son propre soi ».
D’un point de vue philosophique le samadhi du hatha yoga se dégage de toute considération métaphysique : il ouvre la possibilité au yogi de trouver le bonheur en soi dans le corps physique dans l’existence présente.
Georg Feuerstein traduit le mot samadhi par "extase de la transcendance de soi", cette extase s'atteignant en s'élevant au-dessus de soi, en allant au-delà de sa propre identité (3). Mircea Eliade utilise le néologisme « enstase » pour désigner le samadhi qu’il interprète comme une expérience mystique naturelle différente de l'extase expérience mystique surnaturelle (4).B.K.S Iyengar (5) parle de l’ « état où le sujet est uni avec l’objet de sa méditation, l’Esprit Suprême qui imprègne l’univers. Il éprouve alors un sentiment indicible de joie et de paix ». T.K.V. Desikachar (6) dit que le samadhi consiste à "faire converger les mouvements de l’esprit".
Dans le bouddhisme,on retrouve deux niveaux du samadhi avec deux acceptions : la première designe la concentration, la seconde l’ établissement dans l'éveil objectif ultime du Noble Chemin Octuple de Boudha. On retrouve l’extase apparentée à des formes de samadhi avec cognition ou l’illumination semblable au samadhi sans cognition chez les soufis, les kabbalistes, les chrétiens, les moines zen, les ascètes, des anachorètes et des derviches.
Références:
(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Varenne: Jean Varenne, né le 12 juin 1926 à Marseille et mort le 12 juillet 1997 est un indologue français. Il est spécialiste de l'hindouisme, du sanskrit, des cosmogonies védiques (Upaniṣad védiques) et de nombreux sujets touchant la tradition de l'Inde et les religions de l'Iran ancien.
(1) Aux sources du yoga Jean Varenne
(2) James Mallinson & Mark Singleton les racines du yoga Almora 2020.
(3) Georg Feuerstein. Deeper dimension of Yoga 2003
(4) Mircea Eliade cité dans Psychotherapie Vigilance: http://www.psyvig.com/lexique.php?menu=4&car_dico=E&id_dico=175
(5) Yoga Sutra Patanjali . 1991 traduction du sanskrit et commentaires par Fançoise Mazet
(6) T.K.V. Desikachar 1938-2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/T.K.V._Desikachar. T.K.V. Desikachar est le fils et l'étudiant privilégié de Sri Krishnamacharya, considéré comme le père du Yoga moderne, dont il a poursuivi l'enseignement. Il a fondé le centre Yoga Mandiram Krishnamacharya à Chennai. Il a activement participé à la réapparition et la diffusion du Hatha yoga pendant les récentes décennies.
(7) Swami Vivekananda, né le 12 janvier 1863 à Calcutta et mort le 4 juillet 1902 à Belur Math au Bengale-Occidental, est un philosophe et maître spirituel qui a fait connaître l'hindouisme au monde occidental et a inspiré le mouvement pour l'indépendance de l'Inde.
( 8) https://www.spiritualbee.com/posts/swami-vivekananda-nirvikalpa-samadhi/
(8) https://mecaniqueuniverselle.net/bonheur/extase.php
(9) « Upanishads du yoga », traduction de Jean Varenne, éd. Gallimard/Unesco, 1971
(10) N. Shtoupak, L. Nitti et L. Renou, Dictionnaire Sanskrit-français, Maisonneuve, 1980, p.794.
(11) The A to Z of Hinduism par B.M. Sullivan publié par Vision Books, pages 190 et 191, (ISBN 8170945216)
(13) Jean Herbert et Jean Varenne, "Vocabulaire de l'hindouisme", Dervy, 1985, p. 88
(14) https://ohmybuddha.fr/yoga/quest-ce-que-nirbija-samadhi/
(15) Martyn Neal https://www.ify.fr/le-yoga-au-quotidien/ananda-la-joie-profonde/
(16) https://www.yogapedia.com/definition/6161/nirbija-samadhi